vendredi 27 avril 2018

Âme de sorcière, ou la magie du féminin, d'Odile Chabrillac



Je ne suis pas quelqu'un de spirituel, j'ai besoin de preuves tangibles pour penser que quelque chose puisse être vrai, pour "croire". Malgré mon caractère rêveur, je suis très rationnelle. Cela ne m'empêche pourtant pas d'explorer les questions ésotériques et mystiques, surtout quand cela touche à la magie. Je suis fascinée depuis l'enfance par la figure de la sorcière. Je me reconnais instinctivement dans plusieurs femmes qui font les légendes, comme Morgause (mon ancien pseudonyme) ou Morgane, les déesses lunaires comme Hécate, ou encore dans la saga Harry Potter, qui a bercé toute mon adolescence, et qui me touche profondément. C'est pourquoi je lis à peu près tout ce que je trouve sur les sorcières. Évidemment, quand une de mes rédactrices pour Faunerie a chroniqué Âme de sorcières, ou la magie du féminin, d'Odile Chabrillac, cela m'a intriguée. Quelques jours plus tard, une amie a souhaité se rendre au Gibert ésotérique, et je suis tombée nez à nez avec ce livre. Ni une, ni deux, je l'ai embarqué. Sympathique coïncidence, non ?

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Odile Chabrillac est une naturopathe et psychothérapeute, en plus d'être auteure. Âme de sorcière, ou la magie du féminin, est le témoignage d'un parcours initiatique : la construction d'une femme, et plus précisément, d'une sorcière. L'auteure souhaite réhabiliter ce qualificatif, qui a longtemps été corrélé au Diable - car tout le monde sait que la sorcière mange des enfants et se fait prendre par le Cornu lors des sabbats ! -, et en propose une définition moderne, gardant toutefois son histoire controversée. Une sorcière, c'est une femme épanouie dans sa vie, dans sa féminité, sa sexualité, et sa vie spirituelle. Elle fait fi des conventions sociales, elle s'écoute, et tant pis si ça dérange ; elle veut rester vraie, être en accord avec elle-même et la nature.

L'auteure propose un retour dans l'Histoire, afin de mieux cerner le personnage et ce qu'il a enduré à travers des siècles de misogynie sous le christianisme, mais surtout, elle conte toutes ces femmes, ces guérisseuses, sages-femmes, qui ont été mises sur le banc de la société parce qu'elles faisaient de l'ombre à la médecine masculine, qui a tout fait pour que les femmes et leur corps soient dissociés. Justement, cet essai parle de corps : l'auteure invite les femmes à se libérer sexuellement, à oser, à s'affirmer, à se connaître. La sorcière est une femme qui s'assume et connaît son plaisir sans jamais en avoir honte. C'est dit : la sorcière est féministe.

La sorcière explore également sa dimension spirituelle et magique, à travers des rituels, la célébration des saisons, des éléments. Elle écoute sa voix intérieure, aiguise son instinct. Chaque femme qui souhaite développer son esprit utilise ses vecteurs magiques favoris, qu'ils soient pendules, cartes de Tarot, pierres, etc. La sorcière est évidemment très intéressée par l'environnement et se veut proche de la nature. En effet, elle tient ses savoirs des plantes, qui ont trois facettes : l'une qui guérit, une autre qui empoisonne, et une dernière spirituelle. L'auteure propose aux femmes qui souhaitent devenir des sorcières de s'approprier cette culture des plantes, et de vivre en harmonie avec le cycle des saisons.

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En somme, c'est un livre très agréable à lire, au style fluide, qui propose une vision intéressante de la sorcière d'aujourd'hui. J'ai apprécié que l'auteure livre son témoignage et offre un rapide panorama de la sorcellerie à travers les âges, et qu'elle propose un féminisme axé sur les spécificités féminines, longtemps boudées ou uniquement mises en avant pour des questions essentialistes qui font le jeu du patriarcat (la femme n'est bonne que pour enfanter, elle est plus faible, etc.). J'ai trouvé la partie ésotérique assez intéressante, même si le détail du Tarot ou des rituels étaient assommants. Par ailleurs, alors que les chapitres sont très courts et tout de même assez superficiels, j'ai trouvé étrange que l'auteure se soit attardée à détailler toutes les arcanes du Tarot.

C'est un livre qui fait toutefois du bien : l'auteure rappelle qu'on a notre place à prendre, qu'elle n'est pas définie et qu'on est maîtresses de notre vie ! Elle nous invite à nous réapproprier notre histoire, nos racines, notre corps, à prendre confiance en nous et à nous entraider. Dans ce monde où les femmes sont mises compétition non seulement dans le monde du travail, mais aussi dans l'intimité, il est bon de réinstaurer une sorte de sororité. Odile Chabrillac réussit, en l'espace de quelques pages, à nous insuffler une part de "féminin sacré", et à nous délester du fardeau des injonctions à la femme parfaite, qui nuit à notre santé mentale comme physique. Soyons libres, mes sœurs !


Âme de sorcière, ou la magie du féminin, Odile Chabrillac, éd. Solar, coll. "Harmonie", 2017.

samedi 14 avril 2018

"À la casserole n°2" : entretien avec Hilda Alonso

crédit photo : Sandra Esteves.
Hilda Alonso est une auteure de fantastique et fantasy à suivre. Son premier roman, Ce dont rêvent les ombres, paru aux éditions du Chat Noir en 2016, donne la mesure de son style littéraire précis et poétique, et vous avez pu sans doute la retrouver avec le Cabinet de Curiosités, illustré par Alexandra V. Bach, publié aux éditions du Riez. Hilda ne cesse depuis de publier sous diverses formes, tantôt nouvelles, tantôt romans, mêlant depuis peu ses propres créations graphiques à ses textes, le tout en auto-édition. Elle est ma deuxième invitée dans ma rubrique "À la casserole" !

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 1) Présentez-vous en quelques mots : 

Je suis une ogresse. Je ne comprends que l’excès, donc je suis acharnée à l’écritoire, travailleuse nocturne, fumeuse invétérée, dévoreuse de bonne chère et de bonnes pages.

2) Pourquoi avoir choisi l’écriture comme moyen d’expression ?

Ce doit être le seul que je n’ai pas vraiment choisi ! Avant de savoir lire, j’épuisais ma mère le soir pour qu’elle continue à me lire des histoires. Dès que j’ai appris à lire et à écrire, j’ai commencé.

3) Quels sont vos genres et formes de prédilection à la lecture ? à l’écriture ?

Je lis des formes diverses. En ce moment, pour mes recherches, la bibliothèque regorge de livres d’Histoire et de biographies mais j’aime aussi la fiction, dès lors que l’écriture est exigeante et me pousse à découvrir encore d’autres livres. Jusqu’ici, j’ai essentiellement écrit dans le genre fantastique, avec des formes variées (récit, journal, théâtre, poésie, etc.) et une littérature plus classique, avec Attila Valpinson, dans Disertations.

4) Comment définiriez-vous votre style ?
J’aime jouer avec les écarts. Je pense avoir une forme d’écriture classique et un fond plus déroutant.

5) Quels sont les textes qui vous ont marquée en tant que lectrice ?

Là-bas de Joris-Karl Huysmans pour sa perfection formelle et son mysticisme noir, Les Ritals de François Cavanna pour son oralité et sa tendresse, Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand pour sa délicatesse.

6) La citation qui vous ressemble : 

« Soyez résolu de ne plus servir et vous voilà libre. » (La Boëtie)

7) Là, maintenant, tout de suite, rédigez deux lignes sur votre environnement : 

La bougie parfumée rayonne en plein jour, presque consciente de son excentricité. La tasse de café en regrette de ne plus fumer. La cigarette, elle, jubile…

8) Quand vous étiez petite, que vouliez-vous faire quand vous seriez grande ?

Écrivain ! Et puis on m'a demandé ce que je voulais faire, en vrai. Alors j’ai fait plusieurs métiers… et je suis, entre autres, écrivain.

9) Quel personnage de fiction aimez-vous le plus ?

Cyrano de Bergerac, que j’ai récemment appris à aimer, grâce à une relecture au bon moment de ma vie. Sous son panache, c’est un vrai modeste en fait. On peut être modeste tout en étant conscient de ses qualités. C’est un homme intègre, passionné, droit, courageux, batailleur, tendre… Je rêverais de l’interpréter un jour.

10) Teaser : qu’écrivez-vous en ce moment ? 

Trop de choses en même temps ! Je suis en train de terminer mon troisième roman graphique, Les contes de la vouivre, et je poursuis l’écriture d’une saga vampirique, Comme la nuit tombe.


Merci à Hilda !


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vendredi 6 avril 2018

Ce dont rêvent les ombres, d'Hilda Alonso

Voici ma première chronique concernant le Printemps de l'Imaginaire francophone ! J'ai mis plus de temps que prévu pour lire ce livre, vous saurez pourquoi.


Superbe couverture réalisée par Diane Özdamar.

Hilda Alonso est une auteure française qui a, depuis quelques années, fait son nid dans la littérature fantastique française. Elle a publié divers textes dans des anthologies et recueils, ainsi que quelques romans dont un graphique : Le Cabinet de Curiosités, réalisé en collaboration avec une artiste : Alexandra V. Bach. Depuis quelques temps elle s'adonne à l'illustration, et propose dorénavant ses recueils illustrés personnellement, en auto-édition. J'ai choisi de découvrir sa plume à travers son premier roman : Ce dont rêvent les ombres, publié aux éditions du Chat Noir.

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Dans un monde médiéval fantasmé, l'auteure nous embarque dans une quête longue et dangereuse. La Chouette, autrement nommée Éponine, la sorcière du village, vit tranquillement dans les bois, jusqu'au jour où elle doit porter secours à une jeune femme épuisée et blessée. Cette dernière a aidé une fée en détresse, et reçu en remerciement un cadeau : un enfant, celui qu'elle n'arrivait pas à donner à son mari. Une fois rétablie, Ménéhould retourne au village, et sa grossesse nouvelle donne lieu à de nombreuses rumeurs. Une fille naît : Deirdre. Vive et intelligente, la petite fille est très liée à sa mère, mais une nuit, le malheur s'abat sur Ménéhould ; sa fille décédée, elle ne peut s'en détacher et, comme une bête furieuse, reste prostrée, sa fille tout contre elle. Au fil des jours, on en vient à chercher la Chouette, espérant que ses potions et sorts puissent aider la pleureuse. Se sentant connectée à la jeune femme, la guérisseuse décide de l'aider et demande au mari de fabriquer un coffre et de le fixer sur une charrette. Dedans ils y installent la mère et l'enfant enlacés, ne sachant presque plus qui des deux est en vie ou morte. Aidée par son ami Tanguy, un simple d'esprit, Éponine entreprend alors une quête qui la mènera au pays des dieux, mais aussi au fameux Sanctuaire, là où Ménéhould pourra trouver la paix. Pendant son voyage, elle rencontrera des loups, des elfes, mais aussi l'amour, en la personne de Bledri, un bien étrange homme...

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Au risque de trop vous en dire, je vais m'arrêter là ! J'ai beaucoup apprécié ce roman, la plume de l'auteure ensorcelante, poétique et pointue, ce qui rend la lecture plus lente que celle d'un page turner à l'écriture blanche. J'ai également dû sortir mon dictionnaire, et ça n'arrive pas souvent ! Le côté savant et dense pourrait en rebuter certains, mais ce serait passer à côté d'un bijou stylistique et ce serait dommage. Je vous conseille donc de prendre votre temps pour le lire, afin de vous imprégner de l'ambiance fantastique.
Outre la forme, le fond est aussi intéressant. La quête d'Éponine mêle diverses mythologies, notamment celtique et latine ; s'ajoutent un peu d'ésotérisme et de mysticisme et vous avez là un beau mélange magique et spirituel ! Au fur et à mesure du voyage, la sorcière rencontre loups, kistunes, elfes, ou encore une sirène. L'auteure nous offre un panorama de créatures merveilleuses et de paysages — dont forêts et glaciers — à couper le souffle. Plus qu'un voyage pour amener Ménéhould au Sanctuaire, c'est une initiation : Éponine y apprend l'amour, le fonctionnement du monde, la nature de la magie, ou encore la destinée de chaque âme. La rencontre avec les dieux ne laisse pas indemne.

Je reprocherais cependant au roman une intrigue un peu décousue. En effet, on ne comprend pas vraiment pourquoi Éponine se sent obligée de s'occuper de Ménéhould, ni son abnégation, ni le sens du sacrifice aussi exacerbé des autres créatures. À propos de ces créatures, l'auteure en importe tellement dans le récit qu'on a du mal à se rappeler qui est qui, et surtout à voir leur utilité dans l'intrigue. Le livre forme un ensemble de tableaux à la fois charmants et noirs, relié par le mince fil conducteur du voyage de la sorcière et de ses amis. J'ai été assez perturbée par le dernier tiers du roman : l'atmosphère change énormément et plein de nouveaux personnages font leur entrée. Ce brusque changement a quelque peu réfréné ma lecture, sans compter le tout dernier chapitre, qui m'a interloquée. J'ai eu le sentiment d'un essoufflement à la fin du récit...
Malgré ces quelques points négatifs, ce roman mérite qu'on s'y attarde ! La plume et l'univers riche d'Hilda Alonso font rêver, et je pense me procurer prochainement ses recueils de nouvelles de sorcellerie (on ne se refait pas) !


Ce dont rêvent les ombres, Hilda Alsonso, éd. du Chat Noir, coll. "Griffe Sombre", 2016.

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Chronique à retrouver sur Faunerie.

lundi 2 avril 2018

L'offrande

Je me suis remise un écrire un petit peu. Je me suis fixé quelques appels à textes pour me lancer, et dérouiller la machine, mais ce n'est pas simple. Rester concentrer sur une idée, la développer, trop d'efforts :p ! J'ai participé au début de l'année à l'appel à textes "Traces", de la revue Dissonances, mais mon texte n'a pas été retenu. Je ne suis pas vexée, j'estime avoir pas mal de travail à faire. Je vous livre ce texte ici même. N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez !

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The Damsel of the Lake called Nimue the Enchantress, Frank Cadogan Cooper.

 

L'offrande



Elle a fermé la porte et elle est partie. Elle a marché longtemps dans la neige, s’arrêtant de temps en temps pour se reposer contre un arbre, puis reprenant son chemin, décidée et fière. Je le sais car je l’ai suivie. Je marchais dans ses pas à quelques centaines de mètres derrière elle, me faisant discret dès qu’elle se figeait. On a marché jusqu’au coucher du soleil, jusqu’à ce que les ombres se confondent avec l’encre du ciel, que seule la neige luise, réfléchissant la lumière fantôme de la lune.

Malgré le froid j’ai tenu bon. Mes jambes raides ont continué à me porter, je me suis félicité de m’être bien couvert, contrairement à elle, qui semblait ne pas sentir la morsure du froid : sa tenue était légère et elle allait pieds nus. Je savais depuis le début de notre rencontre qu’elle ne resterait pas. Elle ne l’avait jamais dit à haute voix, mais c’était dans ses gestes, dans son regard. J’avais déjà repéré le caractère évanescent de notre relation, bâtie sur le mystère et un accord implicite : je ne l’avais jamais interrogée sur ses escapades, ni sur sa peau froide, ni sur les étoiles qui la constellaient. Elle allait et venait à sa guise, sans que je ne connaisse jamais la destination. Et puis elle est partie comme elle est venue, auréolée de secrets.

Elle a fait halte sur une colline battue par un vent glacial, surmontée d’une grosse pierre noire qui, étrangement, n’était pas recouverte de neige. Elle s’est prosternée, la tête touchant le sol, comme une supplique adressée au néant. Quand elle s’est redressée, sa silhouette avait changé : pourtant menue un instant plutôt, elle portait désormais la vie. Son ventre rond tendait le fin tissu de sa robe, et je contemplais avec stupeur le miracle. Je me fis violence pour ne pas courir la rejoindre, respectant l’accord tacite entre nous, émis depuis le premier jour où ses yeux clairs ont plongé dans les miens. Je l’ai entendue psalmodier, tendant les bras vers les éléments, sa chevelure dansant au gré des rafales de vent. Puis un cri a retenti dans tout l’espace de la nuit, celui d’une bête écorchée vive. Glacé d’effroi, j’ai retenu mon souffle, ne pouvant détacher mon regard du spectacle.

Tout en hurlant et gémissant, elle s’est agenouillée et a relevé sa tunique, dévoilant ses jambes pâles et la courbure de ses fesses. Avec un mélange d’épouvante et de fascination, j’ai observé son accouchement solitaire. La scène était redoutable et magnifique, je l’ai vu saisir l’enfant d’entre ses jambes et essuyer son petit corps avec sa robe. Mon enfant. Il s’est mis subitement à vagir tandis qu’elle le berçait contre son sein, lui chuchotant des paroles qui m’arrivaient par bribes dans une langue inconnue, comme dans un rêve. La lune éclairait doucement le visage de ma sauvage compagne, qui rayonnait malgré l’épuisement. J’ai cru la voir lancer un regard au buisson épineux derrière lequel je me cachais. Je me suis alors décidé à la rejoindre, brisant notre pacte silencieux.

Elle s’était levée et admirait l’adorable être qui remplissait ses bras. Un éclat particulier animait ses traits, énigmatique, qui touchait au sublime. J’avançais lentement, mes pieds s’enfonçaient dans la poudreuse, parsemant le paysage immaculé de leurs empreintes. Soudain un pressentiment terrible m’a envahi et je me suis hâté. Un grondement venu du cœur de la nuit a tonné et un éclair aveuglant, déchirant les voiles d’ombre, m’a fait perdre l’équilibre. Je me suis relevé prestement et j’ai vu l’enfant, gigotant nu dans la robe nacrée et tachée de sa mère, sur la pierre. Je me suis précipité pour le réchauffer dans mes bras. C’était une fille, et une cicatrice en forme de lune brillait sur son front. Une fille, seule trace de l’existence de sa mère, seule trace de l’amour que je lui avais porté…